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par Patrice Dubois-Portal

L’homme est un être de langage. Il ne cesse de penser, de réfléchir, de cogiter, de parler, de théoriser. Il est une source de bruits internes et externes. Le bruit mène à la confusion, à l’erreur ou au conflit. Le bruit est cause de fatigue et de stress et agit sur les systèmes nerveux, cardiovasculaire et digestif. Mais, il n’affecte pas seulement la santé. En empêchant de se concentrer, il nuit également à la qualité du travail et peut même être à l’origine d’accidents. Dans tous les cas, le bruit est générateur de mal-être.

Si la parole est le propre de l’homme, elle est souvent jugée moins noble que le silence qui permet d’écouter, d’observer, de sentir et de ressentir. Le silence est aussi un point d’appui pour accéder à d’autres niveaux de “compréhension”.

Et pourtant, le silence est pratiquement éliminé de notre environnement, il en est même pourchassé… Partout règnent en maîtres, musiques, radios et même télés qui tournent en boucle dans les boutiques, les lieux publics, les halls de gare, sur les agoras des centres commerciaux et même, souvent, dans les salles d’attente des praticiens. Et si, enfin, on se jette, étourdi, sur un siège d’un moyen de transport public, pour fuir ces flonflons incessants, on se retrouve immanquablement près d’une personne dont les écouteurs distillent des sons souvent discordants…

Pourquoi le silence est-il absent de notre environnement ? Le silence fait peur. On le considère non seulement comme inutile, mais aussi comme une sorte de néant, un « vide » oppressant, à éliminer coûte que coûte. Mais ce « vide », disons plutôt l’absence de tous les artifices envahissants qui remplissent notre vie d’aujourd’hui, ne nous fait-il pas peur parce qu’il nous laisse face à nous-mêmes et à la vie que nous menons ? Ne sommes-nous pas en train de mettre le silence aux oubliettes, de l’empêcher d’exister parce que cette réflexion sur nous-mêmes nous fait peur ?

Cette peur sous-jacente conduit à combler tout silence, au profit de « l’expression » tous azimuts, quelle qu’elle soit, et donc d’un besoin primaire de bruit. Le bruit empêche une certaine paix intérieure de s’installer et, parfois, cela nous arrange bien.

Le vrai silence n’est pas mutisme, mais ouverture. Le silence n’est pas une fin en soi. Il ne s’agit pas de dire que le silence est bon et que les pensées ou la parole sont mauvaises. En effet, certains silences peuvent être nocifs. L’indifférence, la soumission, l’isolement subi, la complicité, le mépris, l’inaction en sont quelques exemples.

Le silence doit plutôt être perçu comme un moyen, complémentaire à la pensée, d’approcher notre vérité.

Le silence est avant tout une éthique de la parole : c’est l’idée que l’on ne doit pas parler à tort et à travers, que l’on doit écouter l’autre avant de s’exprimer, qu’il faut essayer de comprendre avant de juger. Ce silence nous amène à nous méfier de nous-mêmes et de nos propres pensées. Il reste mesuré en toutes circonstances.

Le silence peut alors apparaître comme le fait de suspendre son jugement ; il exprime le doute et la prudence qui doit accompagner l’individu de bonne foi.

Mais surtout, le silence est un moyen de maîtriser sa pensée, de se prémunir de ses “bavardages intérieurs » qui sont le résultat de notre activité mentale quasi continue, souvent automatique, incontrôlable et spontanée, constitué de souvenirs, de regrets, de traumatismes, d’envies, de peurs, de rêves ou de listes de choses à faire, qui concernent le passé et l’avenir, sans prêter d’importance au présent.

Mais ces pensées subies peuvent être néfastes : elles sont éphémères, intrusives, obsessionnelles, autoentretenues, souvent inutiles ou fausses. Dans beaucoup de cas, elles accentuent les problèmes au lieu de les résoudre.

Ainsi, et contrairement aux pensées maîtrisées, raisonnées, les pensées subies mènent à un rétrécissement de l’esprit : la raison s’efface pour faire place aux opinions et aux illusions. La réalité s’éloigne. De ce fait, l’individu risque à la fois un enfermement et un éparpillement. Il en résulte un mal-être, une anxiété, un décentrage, un oubli du “soi”.

Comment accéder au silence intérieur ?

Il est impossible de s’affranchir totalement de ses “bavardages intérieurs”. L’objectif serait plutôt de les mettre à distance afin d’arriver à une certaine forme de silence et de sérénité. Il existe pour cela plusieurs méthodes, qui sont complémentaires :

1. la connaissance de soi : il s’agit de comprendre les causes qui nous déterminent, et donc de prendre du recul sur soi ; cette connaissance mène à l’apaisement.

2. la méditation : c’est la pratique qui vise à évacuer le tumulte des pensées vaines ; citons aussi l’hypnose, la relaxation ou la sophrologie,

3. la distanciation : c’est un état d’esprit qui a vocation à être permanent et qui vise à introduire un espace entre soi et le monde, mais aussi entre soi et ses affects, ou encore la pratique d’une activité ou d’un art permettant de concentrer son attention sur un objectif précis.

Alors que la méditation est une pratique limitée à des séances particulières, la distanciation permet un recul permanent sur les choses. C’est un effort mental de recentrage sur l’essentiel – le “soi”-, une mise à distance des pensées et des problèmes posés par le “moi” et par le monde. Paradoxalement, la distanciation permet une plus grande présence au monde.

Le silence joue un rôle important dans le bouddhisme, notamment à travers les techniques de méditation. Mais le silence n’est pas une fin en soi : être silencieux n’est pas forcément signe de sagesse ou d’éveil.

Le silence permet de clarifier l’eau trouble du mental. La pensée devient peu à peu comme un poisson qui nage sans provoquer aucun remous.

Le silence permet de nous construire ou reconstruire. Nous avons « besoin » de silence pour penser, réfléchir, nous retrouver en nous-mêmes ; pour savoir quels sont nos vrais désirs, ce que nous souhaitons au plus profond de nous…

Le silence est le milieu naturel où la vie de l’esprit peut s’épanouir. Sans un espace de silence intérieur, il n’y a pas de pensée possible. Ce n’est pas pour rien si le silence joue un rôle important dans diverses formes de prière.

Enfin nous avons également besoin de silence pour admirer, contempler et laisser entrer en soi la beauté devant laquelle nous nous trouvons… Le silence nous donne la chance immense d’être « en communion ».

Le silence intérieur est un état de conscience au sein duquel quelque chose de mystérieux, de profond, commence à se révéler. C’est ce « quelque chose » qu’on appelle la voix du silence. Celui qui parvient à tout apaiser en lui, et même à arrêter sa pensée – car dans son mouvement, la pensée elle aussi fait du bruit – entendra cette voix du silence qui est la voix de sa nature divine.

Patrice Dubois-Portal

Source: https://vies-energies-accompagnement.com