Ils ont pris la route, parfois sans savoir pourquoi. Et puis ils ont expérimenté « quelque chose », une certitude, une émotion, un apaisement. Trois voyageurs racontent ce chemin initiatique, qui a changé leur rapport au monde et à la vie.
par Valérie Péronnet
Partir. Se mettre en route pour prendre soin de son âme, en espérant trouver « quelque chose », « quelque part »… Certains savent très bien quoi : la paix, la confirmation d’une foi, la réponse à une question, la communion avec une multitude de croyants ; d’autres n’ont qu’une idée très vague de là où doivent les mener leurs pas. Depuis des siècles, les pèlerins arpentent les chemins vers Saint-Jacques-de-Compostelle, La Mecque, le Mur des lamentations, Lhassa, les déserts, les ashrams, les monastères, les kibboutz, en quête d’une expérience ou d’une révélation spirituelle. Qu’ils empruntent les grandes routes ou les chemins de traverse, qu’ils soient religieux ou simplement curieux, qu’ils mènent à une illumination réjouissante ou à une déconvenue cuisante, les voyages spirituels sont toujours des moments particuliers, suspendus, qui laissent des traces souvent inattendues.
David, étudiant en droit, parti à Jérusalem « pour voir », en est revenu avec la décision de devenir rabbin. Violaine a passé un été à Lourdes comme brancardière ; quand elle est rentrée, Dieu l’avait désertée… Les voyageurs spirituels parlent avec émotion de cette expérience intime qui les a conduits si loin à l’intérieur d’eux-mêmes. À mots couverts, doux, ils oublient parfois de raconter qu’ils ont aussi traversé le chaos, le doute, le découragement, avant de découvrir, toujours, une part d’eux qu’ils ignoraient, ou qu’ils n’avaient jamais vraiment approchée ; une part divine, peut-être. Une rencontre surprenante comme une histoire d’amour…
En rentrant, j’étais sereine, profondément »
Marie, 48 ans, dans le désert d’Arizona
« J’ai eu une enfance et une adolescence très engagées dans l’Église. Et puis ma mère est morte brutalement quand j’avais 25 ans, et je me suis dit que tout ça ne rimait pas à grand chose. Sans vraiment m’en rendre compte, je me suis progressivement débarrassée des convenances religieuses. Ma vision de l’homme et du monde s’est modifiée pour devenir plus globale, sans pour autant que j’aie conscience d’être dans une quête spirituelle. Je cherchais, mais quelque chose d’insaisissable m’échappait. J’ai étudié l’ostéopathie, puis la médecine chinoise, puis le tao et le chamanisme… Il y a trois ans, on m’a proposé une “quête de vision” en Arizona, au pied du rocher sacré des Navajos. Pendant trois jours et trois nuits, je suis restée seule dans le canyon, à jeûner, méditer et remercier pour ma vie. C’était agréable, beau et serein, mais je n’ai rien senti de particulier, à part une sensation très puissante et très fugace d’amour infini qui m’a réveillée en sursaut, la dernière nuit. Je suis rentrée très tranquille, en me disant que je referais un voyage. J’y suis retournée à l’automne dernier, avec une question précise à laquelle je cherchais une réponse. J’étais plus inquiète, mon séjour a été plus tourmenté. J’ai eu ma réponse, mais surtout, en rentrant, je me suis rendu compte que j’étais sereine, profondément. J’ai retrouvé cette sensation puissante d’amour infini, débarrassée de sa fugacité. Et j’ai compris que cet état, cette “part divine” existe en moi, et que je peux la contacter à tout moment. Là-bas, sans m’en apercevoir, j’ai réalisé que ma vie entière est un voyage spirituel, et que je suis en chemin, depuis toujours. »
« Je me suis sentie bénie d’être là »
Amandine, 30 ans, en Inde
« En 2005, rien n’allait très bien dans ma vie. J’ai eu envie de partir loin, de me rapprocher de quelque chose de fort, de “spirituel”, sans bien savoir à quoi ça pouvait ressembler. Une de mes amies revenait d’Inde, apaisée. Elle m’a présenté une copine, qui préparait son séjour dans l’ashram d’Amma. Je suis partie avec elle. Nous sommes arrivées dans un temple très beau et très paisible. Tout le monde racontait avec émerveillement l’effet bienfaisant de la musique, du yoga, de la méditation. J’ai tout essayé, mais rien ne marchait sur moi. Plus le temps passait et plus je me sentais mal, nulle, déplacée. Un jour, Amma est arrivée. J’ai fait la queue pour qu’elle m’embrasse. On m’a poussée dans ses bras et je n’ai rien senti… En moi, c’était le vide absolu. J’allais de plus en plus mal. Je me suis mise en route vers la maison du dalaï-lama, à Dharamsala. Ça a été terrible. Je me suis retrouvée isolée et terrifi ée au milieu de l’Inde, malade, paniquée, perdue. Mais je me suis débrouillée : je n’avais pas le choix. J’ai traversé mes peurs, les unes après les autres. Seule. Je suis arrivée à Dharamsala. J’ai rencontré des gens gentils, ouverts, curieux. J’ai repris vie, petit à petit. Quelques jours avant mon départ, j’ai appris que le dalaï-lama était de passage et j’ai pu l’apercevoir de loin. J’étais absolument heureuse, je me suis sentie bénie d’être là à ce moment précis… Je suis rentrée forte. Fière d’avoir affronté chacune de mes peurs et d’y avoir survécu. Et convaincue, profondément, que j’ai en moi les ressources pour tout traverser. »
J’ai compris la foi, et le doute »
Élie, 47 ans, à Auschwitz-Birkenau
« Je suis né dans une famille très juive et très laïque, réfugiée de Pologne entre les deux guerres. J’ai appris l’hébreu et étudié les textes, parce que je voulais comprendre. Je cherchais depuis toujours quel sens avait cette histoire, mon histoire. Un jour, presque par hasard, j’ai décidé d’aller en Pologne avec mon frère, dans le shtetl [“village d’Europe de l’Est”, ndlr] familial et à Auschwitz-Birkenau. Au milieu de la splendeur du printemps, j’ai senti que la terre vibrait. Qu’elle hurlait, même, de la mémoire des morts. C’était vertigineux. J’ai su que c’était juste d’être là, et que je devais absolument y emmener le reste de ma famille, sans bien savoir pourquoi. J’ai organisé ce voyage pour mon père, dont le père a été assassiné là-bas, ses cousins et ma mère. Nous étions une vingtaine à visiter ce camp en silence. Quand nous sommes sortis, mon père m’a dit : “Aujourd’hui, j’ai refermé la tombe de mon père.” J’ai compris que tous ces gens, assassinés là-bas, n’ont jamais eu de sépulture. J’ai compris le sens des rites, leur nécessité. J’ai compris la foi, et le doute. On ne peut pas avoir cette histoire-là, et ne pas douter de Dieu… Ce deuxième voyage à Birkenau a été fondateur pour moi. Aussi fondateur que la sortie d’Égypte pour le peuple juif : c’est mon passage de l’esclavage à la liberté. J’ai compris que se souvenir des âmes errantes, prendre soin d’elles, leur trouver une place, c’est laisser à la vie la possibilité de continuer. Et que Dieu a mis le monde entre nos mains à nous, les humains ; pour le reste, c’est à nous de faire le job. »
Source: http://www.psychologies.com/