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Il est important d’observer que tout désir tend vers un état de non-désir. L’objet convoité, ne l’est qu’en vue de l’état de contentement qu’il procure. Celui-ci, tout passager qu’il soit, est celui d’un non-désir total, suprême félicité, qui est la nature véritable de l’homme. Toute autre convoitise n’est qu’une compensation. Le contentement n’est pas dans l’objet, il est en nous.

Pour le saisir en nous-mêmes, à l’état pur, une discrimination sans cesse en éveil, dans une juste perspective, est nécessaire. Cette nature qui est permanente, ne peut guère être décelée dans notre corps, nos perceptions, notre mental, qui sont en changements perpétuels. Ceux-ci sont perçus, et celui qui les perçoit, n’est pas de la même nature, il est en dehors. C’est la Conscience qui perçoit, c’est elle qui est le Connaisseur de ces états, et, quand il n’y a plus rien à percevoir, comme, par exemple, dans l’état de sommeil, il ne reste que la Pure Conscience. L’on est établi alors dans un suprême émerveillement.

Il faut bien comprendre que nous baignons continuellement dans cette Conscience, elle est présente entre, et pendant toute perception. De même, elle est là, dans le rêve et le sommeil profond. Elle est Connaisseur de ces états. Pas un instant, même en pensée, nous ne pouvons imaginer son absence.

Cette réalité est expérimentée dans un état d’être absolument non-duel et non dans un état de relation sujet à objet. Dans l’état de dualité, l’ego s’empare de cette expérience et veut faire de cette joie un objet. On ne peut pas l’éprouver en en restant distinct comme connaisseur et la ressentir en tant que celui qui se réjouit. Cela est seulement possible dans un monde de dualité, donc où il y a relation de sujet à objet, comme dans l’état de rêve ou de veille.

Il est absolument essentiel de saisir que le Connaisseur, suprême sujet de toutes nos perceptions et pensées, ne peut jamais devenir objet et que par conséquent, il ne peut qu’être expérimenté par un état d’Etre absolu.

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Question. — Si vous dites que cette expérience se fait en dehors des objets de cette conscience, comment peut-on alors l’expérimenter sans ces derniers ?

R. — Cette Conscience n’a pas besoin d’intermédiaire, les textes traditionnels qui en parlent, disent : Elle se connaît Elle-même par Elle-même. Quand on n’a jamais approfondi le monde des sons ou des couleurs et quand on commence à se familiariser avec lui, l’organe correspondant se développe. Quand on veut discerner quelque chose qui est en dehors du corps, de la perception et du mental, il se fait également un organe en nous, qui est absolument non conditionné. Cet organe se fait en méditant profondément sur ce qui a été dit dans les différentes approches de la Réalité, par exemple : je ne suis pas mon corps, mes pensées, mes perceptions. Ou bien : Le monde des objets perçus doit révéler Celui qui les perçoit.

Il y a transfert d’énergie. Celle-ci, qui était en premier lieu axée sur le fait d’une identification avec les objets perçus, est désormais centrée sur celui qui les perçoit. L’homme est alors établi dans un arrière-plan de conscience qui éclaire ses actions, mais n’est pas engagé, comme la lumière du phare qui balaie le paysage, sans en être affecté.

Question. — Dans cette perspective, pouvez-vous nous dire comment se place l’optique des choses de ce monde, ainsi que les actions qui en découlent, étant donné que nous sommes conditionnés par de multiples facteurs depuis notre enfance ?

R. — Lorsque nous sommes établis dans cette toile de fond, nous nous logeons suivant la terminologie guénonienne dans notre Personnalité. Nos instruments par lesquels la Conscience, cette Personnalité s’exprime, sont notre Individualité qui, elle, est conditionnée.

L’Ego, centre de l’individualité, est lié au plaisir et à la douleur. Vouloir prendre l’agréable sans son contrepoids est impossible. Les deux sont la face et le dos de la même pièce de monnaie. Vous acceptez les deux ou vous rejetez les deux. La dualité engendre la cause et l’effet et crée un conditionnement.

Lorsque nous sommes logés dans le Centre, il n’y a plus approche d’objet à objet, de mental à objet, d’individualité à monde. Jugement, comparaison, critique, évaluation et désirs ne sont qu’un agglomérat du passé, de notre Samskâra. Nous ne collaborons plus avec lui et il devient une ombre pour nous. Devant l’action, il y a réaction spontanée, sans résidus, appropriée à chaque instant.

L’individu est branché sur la Réalité. On peut alors parler d’action juste, qui ne crée plus de Karma.

Question. — Vous avez dit que l’expérience du Soi se fait sans médiateur, en dehors de notre corps et du mental. Alors, à quoi servent toutes les disciplines du corps et du mental ?

R. — Votre question est intéressante. Notre corps et notre mental sont des instruments qu’il faut rendre aptes pour contribuer à la formation de la discrimination, laquelle permet de percevoir où et comment se situe le Soi.

Une alimentation appropriée à un corps ne le construit pas seulement, mais lui permet d’éliminer tous les encombrements du passé, ce qui amène immédiatement une économie d’énergie. Celle-ci est récupérée et contribue à la formation de la discrimination. Combien d’énergies sont perdues dans nos émotivités et nos rabâchages de pensées avec lesquels nous nous identifions continuellement.

Question. — Comment peut-on se libérer des états dépressifs ou émotifs qui sont des obstacles virulents à cette réalisation ?

R. — Les émotivités et en particulier les oppressions, sont des états devenus chroniques par une trop grande fréquence de leur apparition en nous. Nous étions dès le début complices, identifiés avec eux.

C’est une fausse idée ou une idée fragmentaire qui les a nourris en nous ; c’est aussi par l’idée qu’il faut les épurer, les alléger, pour ensuite, traiter ce qui reste comme une chose perçue. Celui qui les perçoit est en dehors. On déplace l’accent de la chose perçue sur celui qui le perçoit.

Un problème jaillit quand nous vivons sur un plan individuel, celui de l’Ego, du mental, dans la multiplicité en relation d’objet à objet. Sur le plan de la Personnalité, il n’y a pas de problème qui crée des émotivités, des oppressions, tout est parfaitement connu, dans une unité parfaite.

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Question. — Vous dites, quand on est établi dans cet arrière-plan, il y a paix, félicité permanente, et que l’objet d’art nous conduit vers cet état. Alors, à ce moment-là, toute œuvre d’art devient inutile, n’a plus de raison d’être ?

R. — Tout objet de ce monde révèle l’existence de Celui qui les perçoit. Toute œuvre d’art authentique révèle la joie, nature du Contemplateur et l’œuvre d’art est un geste, une offrande, une donation à ce Contemplateur.

Question. — Comment se situe le problème de la mort dans ce que vous dites ?

R. — Avant de comprendre la mort, il faut avoir réalisé la vie. La vie est ce qui est Permanente Réalité en nous et, quand on a réalisé cette dernière, le problème de la mort n’existe plus. Ce que l’on appelle la mort est une métamorphose, un passage, analogue au passage de l’état de veille à celui de rêve ou de sommeil profond.

Question. — Quelle est la position du chercheur scientifique vis-à-vis de cette recherche intérieure ?

R. — Quel est le mobile de la recherche scientifique ? Et quel est le mobile de la recherche intérieure ?

On peut dire que le Soi se recherche Lui-même. Le chercheur scientifique recherche le Soi en se dirigeant vers l’extérieur, vers les objets. Le Jnâni s’élimine des objets, pour se loger dans le Soi.

Le chercheur scientifique entreprend sa recherche de mental à objet, cela veut dire que son instrument mental est la résultante d’une tradition de recherche. Cette résultante, il la surimpose à son objet, et ceci dans un but ultime de perfectionnement de l’objet en vue d’un plus grand bonheur pour l’homme.

Les deux chercheurs sont poussés par un désir ultime d’atteindre la Réalité. Le Scientifique manipule des objets en vue de s’assurer une emprise sans cesse croissante et perfectionnée sur le monde extérieur. Le chercheur de la Vérité sait, par expérience, que la Joie n’est pas dans l’objet, mais que celui-ci nous conduit vers cette joie intérieure profonde de notre nature, que nous expérimentons à un moment donné, et que, par retour, nous surimposons à l’objet. Le chercheur scientifique passe par un détour, et la plupart d’entre eux s’arrêtent dans l’objet, tandis que le chercheur de la vérité le vise d’une façon directe en s’éliminant de lui.

Dans la tradition indienne, le scientifique épure ses instruments d’investigation mentale, par une connaissance lucide, non passionnelle de la pensée, tandis que notre scientifique surimpose à l’objet un instrument encombré et, à la suite de longs exercices, épure son instrument en contact avec l’objet.

Question. — Cette approche vers le Soi se fait-elle par paliers ou est-elle abrupte ?

R. — Le pas d’un monde conditionné dans un monde non qualifié est abrupt. Il n’y a pas de pont, mais la démarche jusqu’à ce pas se fait par paliers.

La progression est en spirale. Il y a d’abord accumulation, augmentation d’énergie, précipitation vers un point culminant, véritable éclatement, épanouissement, effet en force de courte durée ou effet étalé en largeur, puis descente, ralentissement, avec déperdition d’énergie, jusqu’à arrêt, repos, formation d’énergie nouvelle et redépart. Dans cette observation, il faudrait surtout porter son attention sur le moment du repos lors de la formation d’énergie souvent accompagnée de fatigue et de dépression.

Ceci amène l’individu immédiatement à compenser ce vide aux dépens de l’énergie qui a besoin de se reformer. Ainsi, il empêche le départ en flèche, limite la montée et, de ce fait, abrège la période, ce qui affecte le mouvement ascensionnel tout entier.

Chaque faculté mise en jeu crée un rappel sur tous les plans, que ce soit dans un sens positif ou négatif. Il faut être très lucide pour percevoir le rythme de ces invitations. Du point de vue de l’élimination, il ne faut pas succomber à leur tentation, et du point de vue positif, il ne faut pas manquer à leur sollicitation. Si dans les deux sens, on les respecte, dans le premier cas, les rappels s’espacent de plus en plus et, dans le deuxième cas, ils deviennent de plus en plus rapprochés.

Plusieurs fois dans la journée, prenez distance vis-à-vis de vous-même, de vos émotions, de vos pensées. Recommencez-le le lendemain, etc…, jusqu’à ce que vous sentiez le réveil du rappel. Cette désidentification par laquelle vous cessez de ressasser vos mécanismes habituels, de remémorer vos échecs et vos succès, vous économise une force considérable. C’est celle-ci qui va servir à votre éveil, vous aidant à distinguer entre le Réel et le non-Réel.

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Question. — Pouvons-nous atteindre la Réalité par la discrimination et par la lecture des textes qui nous fournissent un certain nombre de moyens d’approche ou, comme la tradition l’affirme avec insistance, la présence d’un Guru vivant est-elle nécessaire ?

R. — Virtuellement le « Guru vivant » n’est pas indispensable, étant donné que la nature du Soi est en nous. Elle n’est pas obtenue par une appropriation, Elle est. Mais pratiquement, la présence du Guru est nécessaire.

Le Soi est en dehors de nos instruments conditionnés, nous ne pouvons donc pas l’atteindre par le corps ou le mental. De même, nous ne pouvons pas comprendre le plus par le moins. Aucune analogie vraiment ne s’applique pour le comprendre, nous pouvons expliquer le goût d’un fruit par analogie avec celui d’un autre que nous ne connaissons pas, mais Lui, étant en dehors de toutes qualifications, de l’espace, du temps, de la causalité, ne s’explique pas. Aucune qualification mentale ne s’applique à lui.

Le disciple doit donc abandonner toute idée à son sujet, tout ce qui a été dit sur sa nature et sur les moyens d’atteindre le Soi. Ces projections mêmes sont des entraves à l’expérience directe.

Le Guru saisit notre potentiel actuel et nous fait comprendre nos possibilités actuelles, d’où nous partons dans la recherche. Nous nous voyons souvent des possibilités hypothétiques, ce que nous croyons être notre capital. Le Guru nous éclaire les problèmes de la vie et des choses du point de vue du Soi, en partant de nos propres moyens d’investigation, il nous amène pas à pas, au cours de différents entretiens, à une élimination de tout ce qui n’est pas notre Soi. Il nous entraîne à forger notre discrimination, jusqu’à l’ultime contact, où les objets sont réduits à néant, où a lieu l’expérience du Suprême Connaisseur, sujet sans objet. Le Guru étant établi lui-même de façon permanente dans le Soi, soutient cet éveil le moment venu.

Ce qui a été une fois expérimenté peut alors être réexpérimenté. Avec la fréquence de ces réexpérimentations, cet état devient permanent. Ce qui était virtuel est devenu actuel. L’expérience réalisée d’abord se vit en tant que Existence-Conscience, Sat-Chit, ensuite elle devient félicité, béatitude, paix, Ananda.

Question. — On parle dans le Zen de l’éveil abrupt et de la vacuité, cette dernière est-elle cet état dont vous nous parlez ?

R. — La cessation des activités corporelles et mentales est encore un objet, étant donné que cette cessation est perçue. C’est un état bien appréciable mais il n’est la réalité dont nous parlons que lorsqu’il se résorbe dans l’Ultime Sujet, Celui qui le perçoit. Ceci est vrai également dans le mantram ou dans la méditation avec ou sans forme. Quand l’expérience est conçue comme Je sens, ou j’aperçois, sous forme de sujet à objet, il est évident que ce n’est pas la véritable expérience. Cela nous fait approcher, bien entendu, d’un plafond de très grande pureté sattvique, mais cet état encore doit se résorber dans le Méditant, l’Ultime Contemplateur, dans l’état d’unité absolument non-duel, l’Advaita.

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