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par Nicole Payan

Le silence est pratiquement éliminé de notre environnement, il en est même pourchassé… Partout règnent en maîtres musiques, radios et télés qui tournent en boucle dans les boutiques, les lieux publics, les halls de gare, sur les agoras des centres commerciaux et même, souvent, dans les salles d’attente des praticiens. Et si, enfin, on se jette étourdi sur un siège de métro pour fuir ces flonflons incessants, on se retrouve immanquablement près d’une personne dont les écouteurs distillent des sons souvent discordants….

Une enquête sur les pratiques environnementales des Français montre que les nuisances sonores constituent le principal problème de leur vie quotidienne. Tout est fait pour que nous vivions dans un environnement bruyant qui, sans conteste, nous perturbe et nous étourdit.

Et pourtant… le silence, ce grand rejeté, peut tellement nous apporter !
Pourquoi nous fait-il si peur ?

Le silence est presque devenu un mot « étrange » et même, souvent, un « gros » mot.

– « Le silence ? mais c’est nul ! Je préfère écouter de la musique, jouer à mes jeux vidéos ou parler avec les copains », me dit Jennifer quand je lui demande si le silence l’attire.
– « Et pourquoi c’est nul ? » Là, pour le coup, silence ! – « Qu’est-ce que tu reproches au silence ? »
– « J’sais pas ! On s’ennuie… y’a rien. ».

Voilà ! Le silence fait peur. On le considère non seulement comme inutile, mais aussi comme une sorte de néant, un « vide » oppressant, à éliminer coûte que coûte.

 Ce « vide » nous fait peur car il nous laisse face à nous-mêmes.

Mais ce « vide », disons plutôt l’absence de tous les artifices envahissants qui remplissent notre vie d’aujourd’hui, ne nous fait-il pas peur parce qu’il nous laisse face à nous-mêmes et à la vie que nous menons ? Ne sommes-nous pas en train de mettre le silence aux oubliettes, de l’empêcher d’exister parce que cette réflexion sur nous-mêmes nous fait peur ?

Cette peur sous-jacente conduit à combler tout silence, au profit de « l’expression » tous azimuts, quelle qu’elle soit, et donc d’un besoin primaire de bruit. Or, le bruit empêche une certaine paix intérieure : 3 Français sur 4 sont stressés par le bruit indique un sondage fait sur 2000 personnes. Dans les bureaux, 8 personnes sur 10 se plaignent d’un environnement trop bruyant à cause des espaces de travail « ouverts ».

Le vrai silence n’est pas mutisme mais ouverture

Quand le silence devient communion

Il est vrai qu’il y a des silences nocifs qui sont à éviter ,car ils nous coupent de notre entourage en montant des murs de béton autour de nous.

Par exemple, quand Florian s’est muré dans un silence agressif et n’a plus adressé la parole à sa mère pendant plusieurs jours… Il n’a pas choisi le vrai silence, mais plutôt le « mutisme », la fermeture à l’autre. Ce qui n’a rien à voir avec l’attitude qui consiste à « faire silence », qui nous introduit au contraire dans une grande ouverture.

Le mutisme est rempli d’amertume, de rancœurs, de paroles intérieures agressives qui font beaucoup de bruit au-dedans. Ce silence-là est destructeur et à éviter à tout prix si nous ne voulons pas démolir nos proches, mais également nous détruire nous-mêmes… au dedans !

« Depuis quelques semaines, mon ami ne me partageait plus rien. On n’échangeait plus que des banalités et je me suis vite aperçue qu’on s’éloignait l’un de l’autre », explique Clémentine. Alors que dans un couple, le silence vécu ensemble dans un moment privilégié peut être source de communion, il est racine de rupture s’il provient d’un manque de communication, un refus de partage ou un défaut d’explications. La vraie nature du silence, qui est « ouverture », est alors trahie.

Apprivoiser le silence pour grandir en humanité

« Je suis allé dans un monastère pour réviser mes examens, m’explique Johann. Là, j’étais sûr de ne pas me disperser et d’être tranquille. Lors des repas il était interdit de parler. C’est intéressant comme expérience… On s’aperçoit qu’on parle toujours sans y penser et qu’on parle beaucoup pour ne rien dire. C’est une grande leçon ! »

« Je me suis souvent repenti d’avoir parlé, jamais de m’être tu »

Certains moines font en effet vœu de silence… pour grandir en humanité. Ils apprennent non seulement à écouter ce qu’ils sont venus chercher au monastère, la voix de Dieu en eux-mêmes, mais ils apprennent également, dans ce silence libérateur, à regarder autour d’eux, à apprécier chaque détail de la nature, à faire attention les uns aux autres, à se libérer de l’individualisme qui nous isole. Un moine a expliqué à Johann que, par exemple, « pour la nourriture ou la boisson, les frères se servent les uns les autres. Alors personne n’a besoin de rien demander, mais chacun a ce qu’il lui faut. »

 

Se taire… pour mieux écouter l’autre

Dans l’Antiquité, Pythagore passait pour avoir compris la haute valeur du silence. Il formait ses disciples en leur prescrivant d’abord un silence de cinq années, « estimant que c’est une maîtrise plus difficile que les autres que de maîtriser sa langue ». On a ainsi fait l’éloge de « la tant célébrée philosophie du silence qui avait pour but d’apprendre à mesurer ses paroles en s’exerçant à se taire ».

Nous-mêmes, reconnaissons que le silence permet de mieux écouter, c’est logique ! Or l’écoute est toute cette partie de l’échange (qu’il soit avec Dieu ou avec les autres) qui consiste à se décentrer, sortir de soi pour se centrer sur l’autre et le laisser exister… Accepter de laisser parler l’autre, et donc se taire soi-même, renoncer à envahir l’espace, à se justifier, à expliquer, à convaincre ou à répondre.

C’est difficile à réaliser ,mais c’est un moyen radical pour grandir en disponibilité, en ouverture, en tolérance, et développer un sage jugement personnel.
Dans le silence, nos vrais désirs peuvent jaillir

« Je viens de commencer un job terriblement prenant, m’explique Guillaume, et j’ai vraiment besoin, régulièrement, de me retrouver au calme devant un beau paysage si possible. C’est ma respiration ! Je me vide de tout ce qui me fait oublier que j’existe et pourquoi j’existe ; J’ai l’impression de me restructurer dans une paix intérieure et extérieure bénéfique ; je reprends littéralement vie et force. »

Le silence permet de nous construire ou reconstruire. Si nous réfléchissons en toute honnêteté, reconnaissons que nous avons « besoin » de silence pour penser, réfléchir, nous retrouver en nous-mêmes ; pour savoir quels sont nos vrais désirs, ce que nous souhaitons au plus profond de nous…

« Je ne sais pas pourquoi, me dit Caroline, mais si j’ai des décisions importantes à prendre, je n’aime plus être dans le tourbillon pourtant bien agréable de ma vie, j’ai besoin de me retirer au calme ».

Le silence est le tout de la prière

Le silence est le milieu naturel où la vie de l’esprit peut s’épanouir. Sans un espace de silence intérieur, il n’y a pas de pensée possible. Ce n’est pas pour rien si le silence joue un rôle important dans diverses formes de prière.

« On pense ne pas savoir prier. C’est dans le fond sans importance, car Dieu entend nos soupirs, connaît nos silences. Le silence est le tout de la prière et Dieu nous parle dans un souffle de silence, il nous atteint dans cette part de solitude intérieure qu’aucun être humain ne peut combler », disait le frère Roger Shutz, fondateur de la communauté oecuménique de Taizé.

Enfin nous avons également besoin de silence pour admirer, contempler et laisser entrer en soi la beauté devant laquelle nous nous trouvons… Le silence nous donne la chance immense d’être « en communion ».
Test : savez-vous savourer le silence ?

Pour tester votre avancée sur le chemin de la maturité et de la vie intérieure, demandez-vous donc si vous vous savez :

– garder le silence sur certaines choses qu’il n’est pas bon de jeter en pâture.
– garder le silence sur certains éléments pour les divulguer à un moment plus opportun et conserver la paix et de bonnes relations avec tous.
– garder le silence face à certaines sollicitations qui ouvriraient sur des discussions houleuses.
– Garder le silence en face de celui qui s’exprime, le respecter et respecter les silences qui s’instaurent pour favoriser l’écoute et la réflexion.
– Garder le silence et le savourer. Lorsqu’une bonne compréhension est atteinte, les mots ne sont plus nécessaires : on parle alors d’empathie.
Qu’elle soit vécue devant un beau paysage, avec une personne chère ou avec Dieu, la joie profonde et paisible, le « confort » de ce silence-là sont les indicateurs indéniables de l’harmonie de la relation.
En conclusion, ne rien dire est, paradoxalement, une forme de communication, peut-être la plus évoluée, avec soi-même, avec ce qui m’environne, avec l’Autre…

Osons prendre le risque du silence dans notre vie, nous souvenant de cette phrase d’un Père du désert  : « Une eau boueuse ne peut pas être clarifiée si elle ne cesse d’être agitée. »
Nicole Payan

Source: https://www.reussirmavie.net/