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Un extrait traduit d’un inédit de Douglas Harding

« D’ordinaire, notre prétendu vie éveillée est un rêve, une transe. Notre attention, absurdement détachée de sa source et de son centre ici, est tournée vers le monde environnant, vers les phénomènes de notre périphérie, comme si ces images étaient autosuffisantes et indépendantes de nous. Nous les considérons comme réelles, et nous nous considérons nous-même comme irréel. C’est comme si cet observateur, incurablement myope, ne prêtait jamais attention à lui-même, mais ignorait toujours sa propre existence, ici et maintenant.

Nous souffrons tous de cet étonnant défaut de vision : lorsque je marche dans la rue, je remarque autour de moi les visages préoccupés et absents, tournés vers les autres visages, les vêtements, les vitrines, les voitures – tournés vers tout et n’importe quoi, sauf vers celui, sans visage, qui est attentif. Nous vivons décentrés, comme si nous n’avions pas de centre. Nous ne pouvons pas nous regarder en face.

Il est désespérément difficile de sortir de ce rêve. Il faut du courage et beaucoup de persévérance. Comme le dit la Katha Upanisad : « Dieu a fait en sorte que les sens soient tournés vers l’extérieur : l’homme regarde donc vers l’extérieur, et non en lui-même. De temps à autre, une âme audacieuse, désirant l’immortalité, a regardé en arrière et s’est trouvée elle-même ».

Pour inverser cette tendance centrifuge qui est la nôtre, nous devons rompre avec une habitude de toute une vie. En nous tournant vers l’intérieur, nous devons remonter le courant qui s’écoule et nous diriger hardiment vers sa source. Tout ce qui n’est pas cette source intérieure et profonde, tout ce qui n’est pas mon centre, tout ce qui est périphérique, même si cela est excellent, doit être laissé derrière soi. « Le vrai Bouddha est assis à l’intérieur », dit le maître zen Chao-chou T’sung-shen (778-897). « L’éveil et le Nirvana, l’Ainsité et la Nature de Bouddha, tout cela, ce sont des vêtements extérieurs, des souillures… Depuis ma rencontre avec ce vieil homme, je ne suis rien d’autre que moi-même, je suis maître de moi-même. Il ne vous sert à rien de chercher cet homme dans le monde extérieur. S’il est ici même, ne manquez pas de l’interroger en vous retournant et en regardant dans « la mauvaise direction. »

REGARDEZ À L’INTÉRIEUR ! Ce retournement vital ou véritable conversion, bien que diversement décrit dans les différentes traditions religieuses, est préconisé par tous les grands maîtres. C’est ce que la Chandogya Upanisad appelle « retrouver son chemin à l’intérieur de soi » ; ce que le secret taoïste de la fleur d’or appelle « le mouvement de retour, regarder vers l’intérieur la chambre des ancêtres » ; ce que Plotin appelle « se retirer en soi-même et regarder » ; ce que le maître zen Neng de Yun-chu appelle « jeter sa lumière vers l’intérieur, pour voir par soi-même ce qu’est ce corps qui est le vôtre, cet esprit qui est le vôtre » ; ce que Kabir appelle « pénétrer dans son propre corps ». En fait, comme le souligne Kabir, vous découvrez qu’il n’y a « ni corps ni esprit… Vous ne trouverez rien dans ce vide. Soyez fort et entrez dans votre propre corps, car c’est là que votre point d’appui est solide. Réfléchis bien, ô mon cœur, ne va pas ailleurs. Kabir dit : « Éloigne toute imagination et tiens-toi fermement à ce que tu es ».

Il est vrai que ceux qui ont osé se retourner et regarder à l’intérieur ne décrivent pas toujours ce qu’ils trouvent comme étant le Vide, ou la Vacuité : cela peut apparaître plutôt comme la Lumière, ou le vrai Soi, ou la Pure Conscience, ou Dieu. C’est ce que dit saint Augustin : « Ayant été invité à revenir à moi-même, je suis entré dans la chambre secrète de mon âme… Et j’ai vu, avec l’œil de mon âme, la Lumière immuable ». Et Ramana Maharshi : « Si l’esprit est tourné vers la source de l’illumination, la connaissance objective cesse, et le Soi seul brille comme le cœur… Nous devons plonger dans le Soi. »

Mais ce qu’aucun chercheur sérieux n’a jamais trouvé, c’est une tête, un corps ou quoi que ce soit d’autre. « Dans ce type de vision, dit Le secret de la fleur d’or, lorsque l’œil regarde vers l’intérieur, on voit seulement qu’il n’y a pas de forme ». C’est là que rien d’humain ou de phénoménal ne peut survivre. Dans le langage splendide de la Mundaka Upanisad : « Comme les rivières perdent leur nom et leur forme dans la mer, les sages perdent leur nom et leur forme en Dieu, scintillant au-delà de toute distance. »

DOUGLAS HARDING, « Zen experience » traduction José Le Roy